Compte tenu de la fin de non-recevoir du Gouvernement face aux demandes des sages-femmes, les organisations professionnelles ont décidé dès fin 2021 de cibler les candidats aux élections présidentielle et législatives pour les sensibiliser à leur cause et aux droits en santé sexuelle et reproductive des femmes. Toutes se sont d’abord fédérées pour rédiger un livre blanc, récapitulant des propositions selon quatre axes : la santé sexuelle, la santé périnatale, les droits des femmes et l’évolution de la formation et de la profession de sage-femme. Intitulé Et si on parlait d’elles ?, il devait être rendu public le 7 mars lors d’une conférence de presse.
ANCIENNE DIVISION
Cette démarche de longue haleine a fait vivre le consensus entre les organisations jusqu’à ce que la proposition de la sortie de la fonction publique hospitalière soit inscrite dans le texte. Dans la dernière ligne droite de la finalisation du livre blanc, fin février, l’Union nationale des organisations de sages-femmes (UNSSF) et l’Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL) se sont alors retirées du projet pour exprimer ce point de désaccord. « Il semblait initialement qu’un consensus de rédaction était possible autour de l’évolution du statut médical des sages-femmes à l’hôpital sans évoquer ni le maintien ni la sortie de la fonction publique hospitalière, explique l’UNSSF dans un communiqué du 26 février. Le conseil d’administration de l’UNSSF a donc décidé de ne pas cosigner ce livre blanc puisque le contenu n’est pas consensuel. »
Ces dissensions ne sont pas nouvelles : tout au long du mouvement de protestation initié il y a un an, les organisations partageaient l’essentiel des revendications tout en achoppant sur la question du futur statut des hospitalières. Pourtant, alors que les grandes grèves de 2001 et 2014 avaient échoué en raison de cette division, les organisations avaient su la minorer devant leurs interlocuteurs en 2021.
RAPPORT DE FORCE
Au final, le texte est cosigné par le Conseil national de l’Ordre, l’Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF), le Collège national des sages-femmes de France (CNSF), l’Association nationale des sages-femmes coordinatrices (ANSFC), la Conférence nationale des enseignants en maïeutique (Cnema), l’Association nationale des étudiants sages-femmes (Anesf) et l’Association nationale des sages-femmes territoriales (ANSFT).
En refusant de retirer la demande du statut de praticien hospitalier (PH) du texte, certaines associations ont pu privilégier la démarche fédératrice. L’ANSFT a toujours été réservée sur la question du statut de PH par exemple. D’autres ont pu considérer que leur représentativité primait. L’ONSSF revendique en effet quelque 3000 membres, de nombreuses sages-femmes ayant rejoint ses rangs depuis le mouvement de 2021. Pourtant, l’ONSSF n’es pas habilitée à négocier au nom des hospitalières, étant donné qu’il ne s’agit pas – pas plus que l’UNSSF – d’un syndicat représentatif, à l’instar de la CGT, FO, l’Unsa ou la CDFT. Comme par le passé, la question du statut laissera sans doute des traces et des rancœurs entre organisations et permettra aux décideurs d’évoquer la division de la profession. Pour autant, bien des propositions du texte font l’unanimité et vont dans l’intérêt des femmes et des sages-femmes.
DES MESURES CONCRÊTES
Au total, ce ne sont pas moins de 10 propositions déclinées en 36 mesures concrètes qui sont égrenées sur une vingtaine de pages courtes dans ce livre blanc. Conçu comme un fascicule pratique, il comporte de multiples infographies et chiffres clés à l’appui d’argumentaires succincts. Concernant la santé sexuelle et reproductive des femmes, le livre blanc rappelle par exemple que 1 femme sur 6 n’a pas de suivi gynécologique régulier ou que la prévention du cancer du col de l’utérus ne touche que la moitié des femmes ciblées. Pour y remédier, il propose que les sages-femmes soient mentionnées dans toutes les campagnes de santé publique, de permettre à la profession de vacciner les hommes contre le HPV ou de prescrire les examens de dépistage et les traitements des IST/MST à toute la population par exemple. Autre objectif : « permettre aux sages-femmes de garantir réellement le droit des femmes à disposer de leur corps », à travers la possibilité de réaliser le premier entretien préstérilisation ou la mise en place rapide de l’expérimentation des IVG instrumentales réalisées par les sages-femmes.
En matière de santé périnatale, le texte propose sans surprise de renforcer les effectifs en maternité pour garantir la sécurité des soins et libérer du temps médical en étoffant les moyens administratifs et informatiques.
Pour « garantir un accompagnement global, coordonné et personnalisé des femmes enceintes, du projet de grossesse jusqu’au post-partum », le livre blanc propose de définir la fonction de “sage-femme référente” comme pivot de la prise en charge et de rendre lisibles des parcours de soins préétablis par territoire. Il plaide aussi en faveur de moyens pour des alternatives à l’accouchement standardisé en maternité : maisons de naissance, accouchement en plateau technique accompagné par une libérale, création d’unités physiologiques en maternités, résolution de la problématique de l’assurance pour les sages-femmes accompagnant les naissances à domicile. Concernant la lutte contre les violences faites aux femmes, le livre blanc reprend des propositions ou décisions plus ou moins actées, comme l’ouverture de maisons des femmes sur l’ensemble du territoire. Enfin, concernant l’évolution de la profession, la demande d’une sixième année d’études est réitérée de même que la création d’un statut de maître de stage. Quant à la reconnaissance du statut médical de la profession, elle passe, selon le livre blanc, par le statut de PH, qui prévoit aussi des dispositions spécifiques pour les sages-femmes de PMI et du libéral, en espérant des revalorisations salariales pour toutes.
CAMPAGNE DE COM‘
Suite à sa publication, le livre blanc va donner lieu à une campagne de communication, notamment sous forme de vidéos tournées par les différentes associations autrices, relayées sur les réseaux sociaux. Chaque candidat à l’élection recevra le livre blanc, mais les organisations de sages-femmes choisiront à quelles équipes de campagne elles souhaitent demander des audiences. L’Ordre a déjà fait savoir, par exemple, qu’il n’irait pas rencontrer les candidats opposés à l’IVG et aux droits des femmes (lire page 12). De son côté, l’UNSSF transmettra ses propres documents aux équipes de campagne des différents candidats. Par la suite, les candidats aux élections législatives seront ciblés. Le travail de lobbying entamé depuis un an se poursuit dans une période charnière.
■ Nour Richard-Guerroudj