La sage-femme dispose d’une liberté de prescription dans les limites de son champ de compétences. Conformément aux articles L.4151-1 à L.4151-4 du Code de la santé publique (CSP), les sages-femmes peuvent prescrire :
- les dispositifs médicaux et médicaments dont la liste est fixée par le décret n° 2022-325 du 5 mars 2022 ;
- les examens strictement nécessaires à l’exercice de leur profession ;
- les substituts nicotiniques à toutes les personnes vivant régulièrement dans l’entourage de la femme enceinte ou de l’enfant ou qui en assurent la garde ;
- à leurs patientes et aux partenaires de leurs patientes le dépistage d’infections sexuellement transmissibles et les traitements de ces infections figurant sur une liste fixée par le décret n° 2022-326 du 5 mars 2022 ;
- les vaccinations de la femme et de l’enfant, des mineurs et de l’entourage de la femme enceinte ou de l’enfant (arrêté du 12 août 2022) ;
- les arrêts de travail (article L.321-1 du Code de la Sécurité sociale).
Lorsqu’elle prescrit, la sage-femme engage sa responsabilité professionnelle, civile, pénale et déontologique. Les erreurs de prescriptions peuvent porter sur une erreur dans le choix du médicament, une erreur dans la posologie ou sur une prescription hors AMM ou hors de la liste fixée par le décret de compétences des sages-femmes.
La responsabilité civile
L’article L.1142-1 I. du Code de la santé publique dispose : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. »
Concrètement, pour engager la responsabilité civile de la sage-femme dans le cadre de sa prescription, il faut qu’elle ait commis une faute et que cette faute soit à l’origine des préjudices subis par le patient.
Il y a peu de jurisprudence concernant les sages-femmes, mais leur responsabilité peut être calquée sur celle des médecins, en tenant compte de la liste limitative de prescriptions qui ne doit pas être outrepassée. Il peut donc y avoir une erreur dans le médicament prescrit, dans la posologie, un produit peut ne plus être adapté ou les recommandations peuvent avoir changé.
Les experts se réfèrent toujours pour juger un acte médical aux données acquises de la science au moment des faits, c’est-à-dire, pour les médicaments, au produit de référence au moment des faits.
Exemple de décision concernant un médecin :
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 octobre 2010, 09-68.471
Un nourrisson de 6 semaines souffrant d’une rhinopharyngite avec fièvre est emmené par ses parents chez un médecin généraliste qui prescrit pour faire tomber la fièvre de la Catalgine à 0,10 g. Suite à une erreur à la pharmacie, on délivre aux parents de la Catalgine à 0,50 g, ce qui entraîne un surdosage et une intoxication salicylique pour le nourrisson.
Le médecin sera déclaré responsable à 40 % du dommage subi par le nourrisson, car les experts estiment que :
- les salicylés ne constituaient plus, au moment des faits, le médicament antithermique de référence et de première intention chez le nourrisson, en plus d’être déconseillés en raison des risques de complications graves qu’ils entraînent ;
- le principe de liberté de prescription ne s’applique que dans le respect du droit de toute personne de recevoir les soins les plus appropriés à son âge et à son état, conformes aux données acquises de la science et ne lui faisant pas courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ;
- le médecin avait également commis une faute en ne mentionnant pas sur l’ordonnance l’âge et le poids du malade, ce qui correspond, dans le domaine de la pédiatrie, à un standard de qualité et qui aurait permis au pharmacien de disposer des éléments lui permettant de contrôler la prescription.
Le pharmacien a quant à lui été jugé responsable du dommage subi pour les 60 % restants.
La responsabilité pénale
La sage-femme qui a fait une erreur de prescription qui a entraîné un dommage peut être poursuivie pour prescription de médicament hors AMM, mise en danger de la vie d’autrui, homicide involontaire, blessures involontaires, etc.
La responsabilité pénale peut être mise en œuvre par la victime ou ses ayants droit, ou par le ministère public. Une instruction est alors ouverte. Le procureur de la République saisi peut engager des poursuites ou classer sans suite.
Quand l’instruction prend fin, il peut rendre une ordonnance de non-lieu ou de renvoi devant la juridiction compétente (tribunal correctionnel pour les délits, cour d’assises pour les crimes).
La responsabilité pénale de l’auteur de l’infraction sera retenue si les éléments légal, matériel et moral constitutifs de l’infraction sont établis. Pour retenir « l’élément légal », il faut que l’infraction existe, c’est-à-dire qu’elle soit prévue par un texte de loi qui détermine aussi sa sanction. L’élément matériel est le comportement réprimé par la loi. Généralement, l’infraction sera constituée si le comportement a produit le résultat visé par le texte. Quant à l’élément « moral », il s’agit de l’attitude psychologique de l’auteur de l’infraction. Selon l’infraction, l’auteur peut avoir agi intentionnellement ou par imprudence.
Exemple concernant une étudiante sage-femme :
Lors de son stage infirmier, une élève sage-femme en première année délivre deux comprimés de misoprostol à la mauvaise patiente. Dans des chambres voisines, une patiente est hospitalisée pour un cerclage du col, avec une grossesse fragile à 5 semaines et 2 fausses couches antérieures. La voisine est hospitalisée pour un curetage. Sous l’autorité de l’infirmière, l’étudiante sage-femme va délivrer le misoprostol à la mauvaise patiente, déclenchant une fausse-couche et la perte de la grossesse.
Le couple victime de cette erreur a saisi le tribunal de grande instance pour indemnisation de ses préjudices et le tribunal correctionnel.
L’étudiante sage-femme et l’infirmière ont été condamnées par le tribunal correctionnel (jugement du 12 juillet 2017) pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de trois mois. L’étudiante a été condamnée pour ne pas avoir vérifié l’identité de la patiente avant d’administrer le misoprostol. La peine prononcée à son encontre a été de 3 000 euros d’amende avec sursis. La même peine a été prononcée à l’encontre de l’infirmière.
La responsabilité disciplinaire
Selon l’article R. 4127-334 du Code de la santé publique : « La sage-femme doit formuler ses prescriptions avec toute la clarté nécessaire. Elle doit veiller à la bonne compréhension de celles-ci par la patiente et son entourage. Elle doit s’efforcer d’obtenir la bonne exécution du traitement. »
Le non-respect de la déontologie des sages-femmes peut amener l’Ordre des sages-femmes à prononcer des sanctions à l’encontre de ses membres pour violation des règles déontologiques en matière de prescription, même si aucun dommage n’a été occasionné. Une sage-femme peut être sanctionnée par l’Ordre si elle
prescrit des médicaments en dehors de sa compétence (attention notamment aux prescriptions lors des menaces
d’accouchement prématuré) ou des traitements insuffisamment validés sur le plan scientifique.
Exemple de condamnation disciplinaire :
Chambre disciplinaire de première instance du Conseil de l’Ordre des sages-femmes – 29 novembre 2018 :
Une femme enceinte de 24 SA se présente à la clinique avec des contractions utérines douloureuses. La sage-femme qui la prend en charge a procédé à un examen complet, clinique et biologique, et a mis en place la thérapeutique habituelle en l’absence de contre-indication, qui a donné temporairement de bons résultats, puis le lendemain matin, au vu de l’apparition de nouvelles contractions, a appelé le médecin à 7 h 45. La patiente a accouché quelques heures plus tard d’un enfant qui est décédé rapidement à la suite de sa naissance d’une infection massive, qualifiée par l’expert de pronostic fatal.
La sage-femme est condamnée à un blâme par le Conseil de l’Ordre pour deux manquements déontologiques :
- l’appel tardif du médecin, alors qu’il s’agissait d’une grossesse pathologique, la sage-femme aurait dû appeler le médecin immédiatement ;
- la prescription de médicaments ne figurant pas sur la liste fixée par arrêté (mise en place d’un traitement tocolytique en prescrivant, d’une part, du salbumol, médicament qui ne figure pas sur la liste de l’arrêté en vigueur à la date des faits reprochés et fixant la liste des médicaments que peuvent prescrire les sages-femmes, d’autre part, du chronadalate pour lequel les sages-femmes sont autorisées à renouveler la prescription faite par un médecin, selon les protocoles en vigueur préétablis ; or, lorsque la sage-femme a prescrit ce médicament, aucune prescription médicale n’avait été préalablement faite).
Il est également interdit à la sage-femme de « proposer aux patientes ou à leur entourage, comme salutaires ou efficaces, des remèdes ou des procédés insuffisamment validés sur le plan scientifique » (article R. 4127-31). Il faut donc être attentif en cas de pratiques non médicales de type yoga, méditation, préparations à base de placenta, rites « traditionnels », « arbre protecteur », ou méthode dite du « bébé lotus ». Une sanction disciplinaire peut être infligée, quand bien même aucun dommage n’est causé par ces « prescriptions ».
La question se pose en ce moment des pratiques de soins non conventionnelles, telles que l’homéopathie, l’ostéopathie ou l’acupuncture. Déremboursées, remises en cause dans leur efficacité, voire dans leur innocuité, ces pratiques souvent utilisées par les sages-femmes sont désormais à utiliser avec précaution.
Dans un service de maternité, lorsque la sage-femme prescrit suivant un protocole de service ou à la demande d’un médecin, sa responsabilité ne peut être mise en jeu que si elle a outrepassé ses fonctions, c’est-à-dire qu’elle est allée plus loin que ce à quoi l’autorisait ce protocole ou cette demande du médecin. La sage-femme salariée, tant qu’elle n’excède pas ses fonctions, sera protégée par la structure qui l’emploie, l’établissement de soins, en cas de dommage causé par une prescription.
■ Marie Josset-Maillet, avocate